samedi 16 novembre 2019

Chabrol, Kafka et Flaubert pour focale


Un parrain dont je partage l'amour de la bonne chère et un certain goût pour le noir


Entendre mes premiers écrits lus par la voix si particulière de Claude Chabrol est un souvenir de radio jubilatoire et miraculeux. Jeune auteur de fiction, en 1995, je n'ai encore rien écrit, rien publié.  Une commande des Ateliers de Création de France Bleu va me propulser dans l'écriture. Cinq petits polars, de cinq minutes chacun, enregistrés à la maison de la radio par le maître du suspense.

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Sans doute à l'époque Chabrol a-t-il été séduit par le côté "province" de mon univers littéraire, mon attachement à des environnements mélancoliques, en demi-teinte, à des vies débarrassées des tentations ostentatoires de la capitale, loin de son tumulte, de sa splendeur qui aspire à elle toutes les gloires tel un siphon, de ses bobos aux terrasses aménagée en potagers et de ses figures tapageuses encensées dans les tabloïdes, bref! cet ordinaire extraordinaire que je m'évertue à décrire pour mieux disséquer nos émotions et nos sentiments.


Chaudes-Aigues

Saint Flour


De tous mes romans, Cinq cartes brûlées est le plus chabrolien.

Son décor: une petite ville de province dans le Cantal. Un pavillon des années 1950 flanqué d'un poste électrique dont les câbles à haute tension sont reliés à un pylône planté en limite de propriété.




Ses personnages: Marie-Anne et Bernard, un couple bourgeois (il est médecin thermal, elle est juge) et Laurence Graissac une petite fille débordante d'imagination qui grandit au sein d'une famille modeste (ses parents sont infirmiers psychiatriques).
De leurs histoires, simples en apparence, je n'aurai de cesse d'explorer les méandres (un couple usé par les années et l'ennui, des enfants traumatisés par la séparation de leurs parents), les secrets de famille, mensonges et faux-semblants.



Le traitement : presque un huis-clos, et pas (ou si peu) d'enquête policière. Le lecteur est acteur de l'intrigue et côtoie les personnages; il n'est ni en retrait, ni tout à fait en situation d'analyser les choses, comme pour mes précédents romans, et plus particulièrement L'enfant aux cailloux (pas de figure policière durant les 3/4 du livre).




La métamorphose d'une héroïne


L'élément déclencheur de Cinq cartes brûlées : la tentation de la transgression, l'addiction.
Le final: Un explosion de violence. Une scandaleuse folie.
L'instrument du crime :  la métamorphose physique.
Dans La métamorphose de Kafka, il est question d'un homme progressivement délaissé. Un petit fonctionnaire à Prague de 29 ans, définitivement coupé de tout avenir professionnel, de toute vie sociale et familiale et qui un matin se réveille dans la peau d'un cafard. Il en est réduit à susciter le dégoût, la colère, la peur. Et il va peu à peu perdre tout espoir, se laisser dépérir. Après une ultime tentative de ré-affirmer son humanité, il perd le seul lien qui le rattachait à l'existence, sa soeur.




Dans Cinq cartes brûlées, c'est une "carapace de graisse" et non celle d'un insecte qu'arbore l'héroïne. Elle n'a de cesse de muter, de transformer son corps dès l'enfance, jusqu'à effectuer sa métamorphose ultime. Comme pour le personnage de Grégoire Samsa chez Kafka, le seul lien qui la rattache à l'existence est un membre de sa famille : son frère. C'est cet abandon, cette soustraction du frère qui sera fatale à Laurence.

La tentation du bovarysme


Kafka, Chabrol... Ces références, je ne les avais pas en tête en écrivant.
Je n'analyse pas mes romans avant de les écrire. Mais tout romancier écrit sous influence. Et les plus cinglantes remontent forcément à ces livres que mes professeurs auront mis entre mes mains - combien je les remercie! - De loin, la plus évidente pour ce roman noir est celle de Gustave Flaubert. Les sentiments d'insatisfaction qu'éprouvent les personnages principaux (qu'ils soient masculins ou féminins) à l'égard de leur condition sociale et/ou de leur vie affective, et qui les conduit à chercher à s'évader à tout prix vers le romanesque, la fantasmagorie et l'imaginaire, en font d'authentiques figures bovaryennes... tant appréciées de Chabrol.




De la littérature raisonnée


Cinq cartes brûlées n'est  pas un thriller sanglant dans lequel vous trouverez des scènes de torture ou de violence gratuites destinées à ravir les plus friands du genre.
Ce n'est pas non plus un roman feel good dont vous ressortirez plus léger avec l'envie de vous jeter sur un Poke bowl saumon-avocat.
Encore moins un bon petit polar avec flic-profiler-dépressif-alcoolique-divorcé-bipolaire-sexy (mais réservé et timide avec les femmes) ou d'une capitaine de police athlétique incollable en médecine légale et serial killer, qui se bat contre un cancer, a deux ados insupportables sur les bras et fume de l'herbe pour décompresser entre deux autopsies de jeunes filles monstrueusement mutilées.
C'est la mise en abîme d'un fait réel représentatif de notre société. Un fait qui démontre une fois de plus que personne ne peut anticiper le désastre engendré par des non-dits au sein d'une famille.
La vôtre, la mienne, celle des autres.
C'est là que tout commence et finit.



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