dimanche 29 décembre 2019

Les bonnes fées (1)

La solitude de l'écrivain ne lui est supportable que bien entouré

Certains livres sont plus lourds à porter que d'autres. Plus difficiles à aboutir. A cela, différentes raisons: l'époque, des difficultés personnelles, des soucis de santé ou de famille, une perte de revenu ou de confiance (ou les deux), une maison d'édition en pleine restructuration et des visages familiers qui s'en vont... Même si l'inspiration est là, le doute, ce démon, guette chaque faux pas, me saute à la gorge à force de relire et corriger (31 différentes versions du manuscrit archivées).
Entre le germe d'une idée et l'aboutissement du livre, aucun confort.
Seulement le danger et parfois, l'impression de foncer dans le mur.
Il n'y a pas d'écriture heureuse ou malheureuse, mais des périodes de douce facilité et de grande fragilité.
Ce fût le cas pour Cinq cartes brûlées.
Les premiers retours de lecture de mon éditeur, troublé par le style narratif, en particulier par la "voix intérieure" du personnage de Laurence, romantique, poétique, touchant au plus intime du féminin, plus proche d'un livre de littérature générale, n'avaient pas été très encourageants. Fallait-il envisager une publication "dans la blanche"? Ou noircir le trait, en rajouter côté "thriller", rendre Laurence plus "psychotique" comme me le suggérait alors Denis Bourgeois, lequel fût mon premier directeur éditorial chez Balland voilà presque 20 ans et auprès duquel j'ai souvent pris conseil?  


Plusieurs mois d'hésitation, un marché de l'édition dont la vitrine se rétrécit d'année en année, où la visibilité d'un nouveau roman se réduit à deux ou trois semaines en librairie à raison d'un ou deux exemplaires en rayon, et le départ puis l'attente d'une nouvelle directrice éditoriale auront achevé de fissurer la confiance de cette petite fille dyslexique que j'étais jadis et qui sera toujours en moi. 


Le dernier trimestre 2018 fût d'une grande violence.
La période de tous les doutes.
Je savais que ce livre serait important.
Qu'il portait en lui une force, une puissance. 
Que ce roman était un cri. 
Celui de Laurence, une victime gonflée de rage et de violence, mais aussi le mien: celui d'une femme avec un demi-siècle dans les pattes, définitivement romantique, exaltée, rêveuse, sensible et dévoreuse de poésie.
Fallait-il continuer à écrire? 
A quoi bon se battre dans un climat aussi difficile, anxiogène, m'abîmer dans une immobilité sclérosante?  
Sans mes bonnes fées, ces petits points de lumière qui dansaient devant moi, me tirant vers la lumière, aurais-je traversé le tunnel? 



Gare au navet

Vincent Malone, qui m'interviewait à propos du roman voilà quelques jours pour Le poste général, s'étonnait de cette façon que j'avais de me protéger, de recevoir ses questions avec une sorte de défiance, comme si j'avais peur d'être prise en faute et que je ne prenais pas toute la mesure de la force de mon écriture, insistant sur mon organisation, ma technique de romancière. Qui peut être sûr de ne pas faillir? De ne pas avoir tourné son plus mauvais film ou écrit un roman merdique? Le doute (ce démon), ce moteur, aussi, sera toujours avec moi, sa tête penchée sur mon épaule, comme un frère ainé qui murmurerait à mon oreille "tu peux faire mieux, galoche..." "T'es sûr que ça va plaire? " "Ton truc ne tient pas la route" "Ils vont tout de suite deviner la fin" "Mais ça n'intéresse que toi, tous ces détails!" Ah! Ce sacré frangin qui me colle à la peau depuis ma naissance, et qui comme un ultime pied-de-nez fait à sa soeur est parti, suite à une longue maladie, en 1997. 


Un jour, Je ne me cacherai plus pour raconter nos vies. Dire comment une petite-fille s'est fabriqué une vie de femme avec juste une boîte d'allumettes. Et quelle joie, toujours, s'empare d'elle lorsque jaillit la flamme qui éclaire l'âme et réchauffe le coeur.

Alors, oui, sans mes amies et mes amis, sans ce navire qu'est ma famille construit puis mis à flot au fil du temps et qui navigue avec nonchalance sur les vagues de l'existence, je me serais échouée depuis longtemps sur les rives de l'écriture.

Oui. Cinq cartes brûlées doit beaucoup à quelques fées auxquelles je souhaite rendre hommage.
(à suivre)





samedi 28 décembre 2019

Les bonnes fées (2)

Paroles de fées

J'ai souhaité glisser ici les témoignages de Magali Bertrand, Nathalie Mauret, Karine Fitoussi-Guez, Marjorie Risacher et Jean-Pierre Breuil qui ont eu le manuscrit entre leurs mains à différents stades d'écriture.
Si Karine et Jean-Pierre ont lu une version quasi définitive, Magali, Nathalie et Marjorie ont accompagné son évolution depuis les 50 premières pages. Leurs retours ont été essentiels à la structuration du récit.
Nathalie est journaliste, Magali bibliothécaire, Marjorie est productrice radio et journaliste, Karine est médecin et Jean-Pierre jeune retraité de la police judiciaire.

Voici les petits mots qu'ils m'ont écris pour ce blog:

Nathalie

"Je ne suis pas une lectrice ordinaire. Quand j’ouvre un livre de Sophie Loubière, je sais que je vais aimer. Je ne dis pas cela car c’est mon amie depuis 20 ans. J’aime ses livres car ils sont féroces et tendres, que la poésie y est toujours présente et que Sophie voit le beau même quand il est caché.

Ma lecture est forcément différente de celle des autres. Je lis entre les lignes ; je sais ce qui est tu.

J’ai suivi l’écriture de Cinq cartes brûlées presque chapitre après chapitre. C’est pour moi le livre qui lui ressemble le plus, avec L’enfant aux cailloux. Je l’ai reconnue à chaque page. Dans le corps maltraité de son héroïne, dans sa solitude d’enfant, dans son rapport à ses parents et surtout à son frère.
Les auteurs écrivent toujours sur eux, même quand l’histoire parait éloignée de ce qu’ils sont. Ce thriller psychologique en est l’illustration : Sophie ne joue pas au black-jack et n’a jamais été championne de lancer de poids, mais elle est dans toutes les pages.  C’était parfois difficile pour moi de la lire, tant je voyais ce qu’elle y mettait d’intime et de douloureux.
Sophie m’a rassurée, comme toujours, riant de mes angoisses (un comble) et prenant un tel plaisir à vivre pendant des mois avec des personnages qu’elle aime tellement. Elle a une distance que je n’ai pas. Elle sourit de tout, ce que je ne sais pas faire.
Moi aussi je les aime ces personnages, car Sophie et moi avons des blessures communes et c’est une des raisons qui fait que l’on s’aime. Sans être championne de lancer de poids ni connaitre les règles du black jack, mais j’apparais aussi entre les lignes du livre, subrepticement.
Cinq cartes brulées est un très bon livre. Je le sais. Je le lui ai dit et je crois qu’elle me fait confiance. S’il touche les gens autant que moi et s’il rencontre le succès qu’il mérite, il sera un baume pour elle. Et par ricochet pour moi. Car ce qu’elle fait a de la valeur pour moi."



Magali (marraine ou bonne fée)

"Ayant atteint l’âge honorable que l’on peut raisonnablement imaginer à mi-parcours d’une existence, je crois pouvoir affirmer, sans me vanter, que j’ai déjà endossé pas mal de rôles. J’ai été une fille, une sœur, une amie, une épouse, une mère depuis ma première heure, une Alouette, une Langouste, une pintade anglaise pour un Dindon français à mes heures perdues, une enseignante puis une bibliothécaire aux heures ouvrées. Mais marraine-bonne-fée, ça, jamais. Jamais jusqu’à ce que Sophie vienne me tirer par la branche de mes lunettes de lectrice et me demande, avec cette gentillesse attentive qui la caractérise, « un petit service : accepterais-tu de faire partie du petit groupe de mes premières lectrices pour mon prochain roman ? De lire au fur et à mesure que j’écris ? De me faire des retours précis pour que je sache si je suis sur la bonne voie, si mes personnages existent, si l’histoire se tient ? ». Et c’est à moi qu’elle venait demander ça ? A moi qu’elle ne connaissait pas il y a encore si peu de temps ?

Car Sophie et moi, c’est l’histoire d’un coup de foudre amical, précédé d’un coup de culot et d’un coup de pot. Au temps pas si lointain où notre Berlingot contenait encore deux grandes et deux petites personnes pour sillonner, à longueur d’étés, les routes de Bretagne ou de Normandie à la recherche du « Dernier parking avant la plage », Sophie était, pour mes hommes (deux petits, un grand) et moi LA voix, celle que nous attendions avec impatience et que nous écoutions dans un silence quasi-recueilli, celle qui savait si bien nous raconter des histoires et des recettes à saliver jusqu’à plus soif. Et puis un jour, alors que la voix s’est tue depuis longtemps et que j’ai troqué mes lunettes d’instit’ contre celles de bibliothécaire, je découvre sur les étagères de ma médiathèque L’enfant aux cailloux, et, sur la quatrième de couverture, j’ai une révélation : LA voix a un visage !! Visage qui s’anime et me parle « en vrai » lorsque je vais à sa rencontre à Lyon, au Quai des polars quelques mois plus tard et m’encourage à la contacter pour organiser une visite à la médiathèque. Tenant parole, elle répondra à mon invitation puis à mes questions avec douceur et bienveillance…puis me posera les siennes. En quelques heures, en quelques mots, en quelques failles communes entraperçues et partagées se sont nouées de drôles de connections qui clignotent avec force et régularité entre les deux fidèles que nous sommes.

J’ai donc tâché de conserver l’air digne et détaché qui devait (sans doute !) correspondre à la fonction et j’ai fait semblant de réfléchir (au moins 4 secondes !) à ma réponse avant d’envoyer (en ululant de bonheur !) un mail très posé qui disait « Mais bien sûr, voyons ! », comme si ça n’était pas la première fois qu’une auteure dont j’avais dévoré presque tous les romans me faisait l’honneur de m’accorder pareille preuve d’amitié et de confiance, comme si je ne pétais pas de trouille à l’idée que, peut-être (allez savoir…), ce roman-là ne me plairait pas et qu’il me faudrait prendre mille précautions et détours pour ne pas blesser cette âme vibrante et sensible (car on peut écrire sans broncher des histoires de serial killer à faire pâlir les plus coriaces et posséder une âme vibrante et sensible. Si).

Quelques pages ont suffi, bien sûr, à balayer mes doutes. Si le premier chapitre est un choc, un uppercut au creux de l’estomac, c’est une fois le calme revenu, une fois l’histoire rembobinée et la marche avant lente et précise réenclenchée que l’envoûtement se met en place, que la fascination opère. Rouage après rouage, Sophie monte sous nos yeux la mécanique infernale qui mènera à l’inéluctable, de détails en démence, de douleur en violence, d’humiliations en vengeance. Que d’émotions enfouies elle soulève avec Laurence et Thierry, fratrie aux relations douloureuses et ambivalentes au cœur d’une famille disjointe, que de miroirs tendus aux couples vieillissants, aux ambitions embuées, aux petits arrangements avec des consciences distendues autour de Bernard, que de questionnements autour du corps, de son image, de son appropriation par soi-même ou les autres. Il me semble que notre chère auteure a atteint avec ce roman un sommet dans la maîtrise, non seulement de son style, épuré, affuté, dépouillé du moindre artifice « décoratif » qui aurait pu en altérer la fluidité, mais aussi de la densité psychologique de ses personnages et des liens qui les unissent ou les étouffent. Quant au schéma narratif, il se déroule tout en subtilité au rythme des cartes qui s’abattent dans un ordre qui ne doit rien au hasard, évidemment, mais au sens, au message quasiment, contenu dans chacune d’elle. 
Cinq cartes, une main, un seul jeu pour gagner ou pour perdre. 
Ces Cinq cartes brûlées m’ont surprise, touchée, intriguée, heurtée, épatée, emballée. C’est donc avec un enthousiasme sincère et une fierté non dissimulée que je porterai, avec ses 4 autres marraines, ce très beau, très noir et très grand roman à peine sorti de l’œuf sur les fonts baptismaux et littéraires de la rentrée à venir !" 

Magali

Jean-Pierre

« Je connais Sophie depuis environ deux ans, grâce a une amie que nous avons en commun.
Au cours d’une soirée, j’ai évoqué mon expérience de contrôle et de surveillance des casinos, pour avoir travaillé pendant une vingtaine d’année au Service Central des Courses et Jeux de la Police Judiciaire.
C’est donc tout naturellement que Sophie m’a proposé de lire avant sa parution son dernier roman Cinq cartes brûlées.
Le talent de Sophie m’a permis très rapidement de me retrouver quelques années en arrière dans ce monde des jeux qu’elle a su parfaitement appréhender et décrire.
Dans ce casino du centre de la France, Sophie s’intéresse plus particulièrement à une croupière, à la personnalité inattendue, complexe, fascinante. Seul l’imagination de Sophie pouvait permettre à une personne sommes toutes anodine et banale d’avoir une vie et une histoire hors du commun.
Merci et mille bravos Sophie pour ce roman noir vraiment passionnant... Seul regret : devoir attendre le mois de janvier pour le savourer une nouvelle fois."



Karine

(ce petit mot de Karine m'a été envoyé le 20 janvier 2019 par mail. Etant mon médecin traitant, je lui avais demandé si elle pouvait lire mon manuscrit afin d'en vérifier les parties médicales.)

"Chère Sophie,
Je viens de terminer votre livre. Vous m’aviez dit de prendre mon temps mais j’ai commencé à le lire ce matin et n’ai pu le lâcher. C’est un grand roman!
Je sais que vous doutez beaucoup mais là vraiment vous pouvez abandonner vos doutes. On ne se connaît pas bien mais si vous me connaissiez vous sauriez que je ne suis pas très bon public. Très exigeante, j’ai toujours quelque chose à redire. Sachant cela vous comprendrez que si je vous dis que j’ai vraiment beaucoup aimé votre livre vous pouvez me croire. D’ailleurs mon mari vient de me dire « si tu as aimé c’est que ça doit être bien, tu es tellement difficile ;)
J’ai passé un moment extraordinaire avec Laurence. L’intensité de votre héroïne la rend totalement vraie et crédible malgré sa folie. On souffre avec elle et on retient son souffle en suivant son parcours, devinant qu’il va nous amener vers l’horreur. Votre écriture est captivante. Vous nous amenez doucement vers la folie et on vous suit sans hésiter complètement accro
Ne lâchez pas ce roman, défendez le de toutes vos forces. Il le mérite.
J’ai été particulièrement touchée de la manière dont vous traitez l’obésité.  
J’aurais une ou deux remarques totalement anecdotiques sur le médical puisque vous me l’avez demandé mais rien qui ait de l’intérêt pas rapport à l’impact de ce roman.
Merci pour votre confiance, merci pour ce privilège 
J’espère à très bientôt"



Marjorie


Marjorie attendait d'avoir relu le livre dans sa version définitive pour écrire son texte (c'est tout Marjorie!) On est tellement pote toutes les deux qu'on a trouvé le moyen d'avoir le même jour de naissance. C'est pour dire. Son texte est un putain de texte, comme dirait Blier. Un texte qui me bouscule le coeur. Elle sait bien mieux que moi parler de nous!
On était deux jeunes femmes, nées dans l'Est. Deux jeunes voix de radio, à France Inter. Nous avons cheminé ensemble et dévalons la pente de l'existence avec toujours le même élan, la même tendresse, la même complicité.



"J'ai tout lu de Sophie.
Le mérite ne me revient pas, il est tiré des 25 années d'amitié qui nous lient et de son écriture que j'ai vu s'affiner, se ciseler, se préciser au cours de ce quart de siècle. Nous avons je crois toujours été à la fois franches et attentives l'une envers l'autre. Cela provient du fait que nous ayons un incroyable tronc commun tout en étant des femmes fondamentalement différentes. Implicitement il y a toujours eu ce précieux cadeau entre nous, ce fil tissé qui voudrait qu'à défaut de toujours se comprendre, il est bien plus fondateur de toujours s'apprendre.
Là où je suis analytique elle est combative.
Là où je suis rebelle elle est diplomate.
Là où je suis résignée, elle est déterminée.
Là où je suis fédératrice, elle est constructive.

Ce qui nous lie au-delà de tout trouve ses racines dans un chemin qui nous a pas mal bousculées certes, mais surtout dans le doute constant, dans l'exigence, dans l'amour des belles choses de la vie malgré ses torgnoles. Ni l'une, ni l'autre, n'avons peur du noir. Ni l'une, ni l'autre, n'avons peur de la lumière. Et ses romans sont l'exact reflet de tout cela.
Comme ces tableaux d'un visage de jeune fille ou de vieille dame selon la vision que l'on s'ordonne, il y a dans ses livres un paysage sombre dans lequel brille une lueur. Ou une éclatante prairie où se nichent des ombres terribles. Ils sont oxymores vivants. Ils sont Janus masqués. Il n'y a que la fin qui vous révèle tous les visages, ceux que Sophie vous dessinait, ceux que vous soupçonniez. Et les autres.

Elle a aussi le don du personnage, un truc bien à elle qui fait fi du concept de héros ou d'anti-héros. Il s'agit toujours de femmes, construites d'elle-même, des autres, de nos peurs, de nos fragilités, de nos entêtements, de nos capacités, de nos cicatrices, de nos résiliences. Si on savait combien Sophie met à chaque fois de vérités, si on soupçonnait combien elle essaime invariablement la poudre du même os qu'elle ronge intimement, on toucherait du doigt la raison de ce qui crie si fort dans ses êtres littéraires. Il n'y a pas de caricatures, il n'y a que nos folies et nos génies ordinaires qui forgent l'extraordinaire. Laurence, la protagoniste au cœur de ce nouveau roman, est à la fois proche et loin de nous. On ne sait jamais bien si elle est plus attachante qu'irritante, si on a envie de l'encourager ou la secouer. Mais elle est là, campée, précise. Elle a une empreinte forte qui nous accompagne longtemps après la lecture.

Mais il y a encore autre chose que Sophie maîtrise. Une chose plus rare.

Le polar en général est souvent décevant quand on a atteint un niveau de lecture sourcilleux. Dans le meilleur des cas on y trouve une charte narrative, un scénario, une idée. Exit la qualité de l'écriture, la recherche du rythme, la beauté du style. Aucun autre genre littéraire ne mériterait autant qu'on remette tout à plat pour demander aux auteurs de ne plus se contenter de raconter une histoire et de cesser d'être écrivants pour redevenir écrivains.
Sophie fait partie de cette poignée qui a le souci de tout. Elle cherche continuellement la vérité du détail, le mot le plus exact, la tournure la plus belle.

Quand elle m'a envoyé la première version de Cinq Cartes Brûlées j'ai tout de suite su qu'elle avait gagné la bataille douloureuse que peut être la création d'un roman. Je l'ai su dès les deux premières pages, dès l'incroyable scène d'entrée. Son écriture était telle que je me suis dit « Elle n'a peut-être jamais rien écrit de mieux ». Et je n'avais encore ni le cœur de l'histoire, ni même les personnages. Je n'avais qu'un style, qu'une valse de mots, qu'une ambiance. Mais c'était déjà là.
Je savais que nos discussions allaient porter sur d'autres choses, mais certainement pas la plume.
Et en effet, nous n'avons parlé que de construction optimale, d'indicateurs visibles, d’ellipses possibles. Nous avons parlé voyage à la lecture, pas à l'écriture. Ce dernier lui appartient désormais entièrement, complètement dans sa chair et son talent."



Une autre amie, Caroline Vallat, libraire, a également lu une version incomplète et ses remarques après lecture ont engendré comme un déclic qui a permis de mieux mettre les choses en place. Je tenais une fois encore à la remercier d'avoir accepté cette lecture qui hélas, aura gâché pour elle la surprise de le découvrir en janvier - d'autant que je lui ai spoilé un élément important du livre.  
Grosses bises à toi, Caroline.

Caroline

jeudi 12 décembre 2019

Montage vidéo des images et musiques ayant inspiré le roman

Un si talentueux ami

lorsque le livre est terminé, j'aime fabriquer mon propre film annonce, voir si cela fonctionne. 
J'utilise alors l'iconographie réunie durant l'écriture et la musique écoutée pour fabriquer un montage vidéo que je vous livre ici.


Pour voir la vidéo de "Cinq cartes brûlées", cliquer sur l'image.



C'est surtout Gabriel Yared qui, une fois encore, m'a accompagnée et inspirée pour l'écriture de ce livre. Définir son travail revient à convoquer l'élégance, la gravité, la sensualité et la grâce.




Le passage musique utilisé pour ce montage est tiré du film Chocolat, de Roschdy Zem. Le film et sa musique, sont une pure splendeur. Ma rencontre avec Gabriel remonte à plus de 25 ans. Et notre amitié est comme un bijou qui m'aurait été offert, dont l'éclat jamais ne ternit, et dont je reçois tant et tant. Avec lui, tout est passion, interrogation, écoute et partage. Nous parlons de tout, de musiques, de livres, un peu moins de films, beaucoup du milieu de la culture, du cinéma, d'artistes ou de faiseurs, nous aimons à dire du bien et du mal de ceux qui méritent éloges ou blâmes, nous aimons surtout en rire, et nous émerveiller des bonnes choses. 


Et quand je pars de chez lui, il glisse toujours dans ma poche quelque chose, un CD, un sachet de thé ou une plaque de chocolat Jean-Paul Hevin. 
Comme s'il voulait encore être un peu là, près de moi, soucieux de mon bien être. 
Qui n'a jamais entendu son rire ignore ce qu'est un rire généreux, éclatant de joie.
Quand il rit, Gabriel a 13 ans.
C'est aussi un grand amateur de blagues.
Je me demande quelle sera celle qu'il me racontera la prochaine fois...

Pour découvrir le site de Gabriel Yared, entendre ses musiques, connaître son actualité, cliquez sur l'image.




mercredi 11 décembre 2019

Le sens caché des noms

En un mot, tout est dit

Une bonne histoire vaut par la puissance de ses personnages et la force d'évocation des paysages. L'un ne va pas sans l'autre. 
Ainsi que le géographe Frédéric Giraut (professeur à l'Université de Genève et de Paris I Panthéon-Sorbonne) en fit un jour l'analyse lors d'une conférence au Festival International de la Géographie à Saint-Dié, mes romans sont situationnistes, au sens débordien du terme. A propos de l'un de mes précédents romans Black Coffee, il m'a écrit :

"les noms de lieux sont des entrées pour la spectacularisation comme pour la création de situations. Et la Route 66, en tant que lieu réticulaire et mobile (super passage dans votre "Black Coffee" page 481 de la version poche, sur la nature singulière du lieu-canevas que je reprendrais bien en citation ) est un must, en tant que toponyme créé, investi, patrimoniales et détourné, ce que vous montrez à merveille."



J'avoue avoir rarement lu de propos aussi flatteur à l'égard de mon travail de romancière. Ecrire n'est rien d'autre qu'instinct, pour ma part. Je ne cherche pas, comme dirait l'autre, je trouve. Et j'ajouterais "je trouve parce que je n'ai pas d'autre choix".

Ainsi donc, les personnages de Cinq cartes brûlées portent un nom qui fait sens, au-delà des apparences et qui s'ancrent dans un décor particulier jusqu'à s'y fondre.

Tous fichés!

Commençons par un de ces personnages anecdotique (une scène P. 118), l'avocate de Laurence Graissac, maître BRANITI. Son métier est de défendre, du moins est-ce dans cet exercice qu'elle apparaît. Je lui ai donc choisi un nom qui induit cette notion. Braniti signifie défendre, en croate.

Un autre personnage, plus important, est celui d'une amie de Laurence à l'INSEP, Mariana TREBOL. Il me fallait un nom qui corresponde à la carte tirée par Laurence à cet instant dans sa vie, soit la dame de trèfle. Trébol signifie trèfle, en espagnol. Ne cherchez pas ce nom dans mon livre, il n'y est pas! Sans doute l'ai-je mis puis retiré au cours des dizaines de versions, décidant que Mariana ne devait s'incarner qu'à travers un prénom. Mariana est un prénom très populaire en Espagne. Il est la contraction de Marie et de Anne, soit le prénom de la femme de Bernard BASHERT, le médecin. Ce n'est pas un hasard: Mariana est le pendant de Marie-Anne LAHIRE-BASHERT. Elles sont toutes les deux en opposition avec les personnages auxquelles elles sont rattachées, et sources de hautes tensions. 


Bernard, ou l'art de se faire berner?

Venons-en à Bernard BASHERT, justement. Pourquoi Bernard? Voilà un prénom très intéressant: phonétiquement, Bernard commence comme le verbe berner et termine par art. Bernard, l'art de se faire berner - ou de berner les autres? Dans Bernard, j'entends aussi berne, comme un drapeau en berne, donc, j'imagine un rapport avec un deuil, quelque chose de solennel. Mais j'entends surtout le prénom de bien des hommes d'une certaine génération et qui m'entourent, dont j'apprécie le caractère.

... Comment en suis-je venue à me porter sur ce prénom? Comme je vous l'ai déjà dit, je me suis inspirée des attitudes, du physique - et aussi beaucoup de la voix - du comédien Bernard Gabay pour incarner ce personnage. C'est en enregistrant le livre audio de mon précédent roman Black Coffee que j'ai fait sa connaissance et pris la mesure de sont talent de comédien tout autant que de ses belles qualités humaines. Son art à lui s'exprime dans l'altruisme - et il en faut pour être comédien de doublage et voix-off.
Ajoutez-lui une blouse blanche, et vous avez le personnage du roman...

pour écouter sa voix, cliquez sur l'image.

Un Bernard a un caractère bien particulier: sûr de son fait, un certain sens de l'intuition, avec de grands principes, capable de mettre toute son énergie dans un projet, à l'opposé du "mou", du "tiède", il cherche à s'accomplir, il est rigoureux, a le sens du détail, son action vient d'une pensée exercée. Et en cas de crise, il devient son propre parasite, se jette à corps perdu en pleine hérésie, ne résistant pas à la séduction douteuse, à l'autodestruction... Un prénom magnifique, non?



Bernard LAHIRE-BASHERT. Né Bashert, il porte un nom qui en Yiddish signifie sort, destinée, fortune; âme sœur de quelqu’un; accord fortuit; objet qui s’accorde bien. C'est l'homme auquel Laurence est destinée, c'est le "valet de coeur" dans son jeu. Lahire, c'est d'ailleurs le nom que porte le valet de coeur dans un jeu de cartes. Lahire est le nom de jeune-fille que j'ai justement choisi de donner à Marie-Anne, l'épouse de Bernard. Ainsi, Bernard, en accolant son nom à celui de sa femme, se désigne, plus que jamais, comme la carte destinée à Laurence.
... Bashert. Des origines juives cachées derrière un nom, comme dans ma propre famille. 
Il est des secrets qui traversent des générations et finissent par s'effacer ou se perdre...



Un autre prénom hébraïque apparaît dans le livre, celui que porte le père de Laurence, David GRAISSAC. David est dérivé du mot Daoud qui signifie chéri, aimé. David est l'être que Laurence chéri plus que tout au monde. Il est aussi ce David, fils de berger, qui combat le géant Goliath avec une pierre. David GRAISSAC d'une certaine manière, dans ce roman, va devoir se battre contre quelque chose qui le dépasse.


En vrac, vous croiserez au fil des pages d'autres personnages dont les noms indiquent leur fonction, le rôle symbolique qu'is tiennent dans l'histoire de Laurence :

Une petite INES (en grec signifie chaste et pure)
Une conseillère à Pôle Emploi, Mademoiselle ISANGHAN (drôle en coréen)
Une camarade de classe de Laurence dont le nom de famille est MAHMOUDI (en arabe signifie loué, digne d'éloge)
Un coach sportif répondant au nom de Pascal OGIER (Ogier est le nom du valet de pique) et Pascal, en hébreu, signifie "le passage" ou "sauter", "passer outre". Pascal est bien cet homme qui lui permet de passer de l'état de chrysalide (adolescente ingrate) à papillon (athlète de haut niveau). 
Un docteur LONDOLOZA (sauver en zoulou)
et un patron de casino prénommé Jules, comme Jules César (le roi de Carreau).



21 fois Laurence GRAISSAC

Le choix du prénom de mon héroïne s'est imposé rapidement. Inspiré par Laure, le prénom d'une amie dont le témoignage personnel a inspiré le parcours de mon héroïne, Laurence donne phonétiquement L'EAU-RANCE. L'eau de Chaudes-Aigues, brûlante, abondante, et Rance dont je vous donne les deux définitions, car ce sont des indices sur ce que Laurence porte en-elle :

RANCE : 
a) Se dit d'un corps gras qui, au contact de l'air, a pris une odeur forte et une saveur âcre
b) Se dit de quelqu'un qui a mal vieilli, de quelque chose qui est proche de la décomposition


Enfin, le choix de GRAISSAC dont la phonétique (GRAISSE - SAC) n'appelle pas d'explication, n'est pas venu par hasard mais en cherchant sur Google Map aux environs de Chaudes-Aigues le nom d'une ville ou d'un village qui puisse devenir le patronyme de mon héroïne. Or, il existe une ancienne commune française du Pays Haut Rouergue située dans le département de l'Aveyron qui porte le nom de Graissac. 
Et le plus incroyable (je l'ai découvert en rédigeant cette page) c'est qu'elle est située à 21 km de Chaudes-Aigues. 
21, ce chiffre qui revient sans cesse dans le roman si vous êtes attentifs (chiffre fétiche au Black-Jack), se trouve étrangement présent dans le code de la commune et son nombre d'habitants:



... Mes romans, faits de hasards et d'intuition, sont remplis d'indices et de clés qu'il serait dommage de négliger, non?... Alors, que les plus impatients d'entre vous qui me titillent sur les réseaux sociaux avec des " A quand le prochain livre?" "C'est long!" comprennent le processus qui anime mon écriture. 

A travers le temps, comme on se penche doucement pour boire l'eau à la source, l'acte d'écriture doit avant tout à la patience.






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