dimanche 29 décembre 2019

Les bonnes fées (1)

La solitude de l'écrivain ne lui est supportable que bien entouré

Certains livres sont plus lourds à porter que d'autres. Plus difficiles à aboutir. A cela, différentes raisons: l'époque, des difficultés personnelles, des soucis de santé ou de famille, une perte de revenu ou de confiance (ou les deux), une maison d'édition en pleine restructuration et des visages familiers qui s'en vont... Même si l'inspiration est là, le doute, ce démon, guette chaque faux pas, me saute à la gorge à force de relire et corriger (31 différentes versions du manuscrit archivées).
Entre le germe d'une idée et l'aboutissement du livre, aucun confort.
Seulement le danger et parfois, l'impression de foncer dans le mur.
Il n'y a pas d'écriture heureuse ou malheureuse, mais des périodes de douce facilité et de grande fragilité.
Ce fût le cas pour Cinq cartes brûlées.
Les premiers retours de lecture de mon éditeur, troublé par le style narratif, en particulier par la "voix intérieure" du personnage de Laurence, romantique, poétique, touchant au plus intime du féminin, plus proche d'un livre de littérature générale, n'avaient pas été très encourageants. Fallait-il envisager une publication "dans la blanche"? Ou noircir le trait, en rajouter côté "thriller", rendre Laurence plus "psychotique" comme me le suggérait alors Denis Bourgeois, lequel fût mon premier directeur éditorial chez Balland voilà presque 20 ans et auprès duquel j'ai souvent pris conseil?  


Plusieurs mois d'hésitation, un marché de l'édition dont la vitrine se rétrécit d'année en année, où la visibilité d'un nouveau roman se réduit à deux ou trois semaines en librairie à raison d'un ou deux exemplaires en rayon, et le départ puis l'attente d'une nouvelle directrice éditoriale auront achevé de fissurer la confiance de cette petite fille dyslexique que j'étais jadis et qui sera toujours en moi. 


Le dernier trimestre 2018 fût d'une grande violence.
La période de tous les doutes.
Je savais que ce livre serait important.
Qu'il portait en lui une force, une puissance. 
Que ce roman était un cri. 
Celui de Laurence, une victime gonflée de rage et de violence, mais aussi le mien: celui d'une femme avec un demi-siècle dans les pattes, définitivement romantique, exaltée, rêveuse, sensible et dévoreuse de poésie.
Fallait-il continuer à écrire? 
A quoi bon se battre dans un climat aussi difficile, anxiogène, m'abîmer dans une immobilité sclérosante?  
Sans mes bonnes fées, ces petits points de lumière qui dansaient devant moi, me tirant vers la lumière, aurais-je traversé le tunnel? 



Gare au navet

Vincent Malone, qui m'interviewait à propos du roman voilà quelques jours pour Le poste général, s'étonnait de cette façon que j'avais de me protéger, de recevoir ses questions avec une sorte de défiance, comme si j'avais peur d'être prise en faute et que je ne prenais pas toute la mesure de la force de mon écriture, insistant sur mon organisation, ma technique de romancière. Qui peut être sûr de ne pas faillir? De ne pas avoir tourné son plus mauvais film ou écrit un roman merdique? Le doute (ce démon), ce moteur, aussi, sera toujours avec moi, sa tête penchée sur mon épaule, comme un frère ainé qui murmurerait à mon oreille "tu peux faire mieux, galoche..." "T'es sûr que ça va plaire? " "Ton truc ne tient pas la route" "Ils vont tout de suite deviner la fin" "Mais ça n'intéresse que toi, tous ces détails!" Ah! Ce sacré frangin qui me colle à la peau depuis ma naissance, et qui comme un ultime pied-de-nez fait à sa soeur est parti, suite à une longue maladie, en 1997. 


Un jour, Je ne me cacherai plus pour raconter nos vies. Dire comment une petite-fille s'est fabriqué une vie de femme avec juste une boîte d'allumettes. Et quelle joie, toujours, s'empare d'elle lorsque jaillit la flamme qui éclaire l'âme et réchauffe le coeur.

Alors, oui, sans mes amies et mes amis, sans ce navire qu'est ma famille construit puis mis à flot au fil du temps et qui navigue avec nonchalance sur les vagues de l'existence, je me serais échouée depuis longtemps sur les rives de l'écriture.

Oui. Cinq cartes brûlées doit beaucoup à quelques fées auxquelles je souhaite rendre hommage.
(à suivre)





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