Donner plus de vraisemblance à ce qui est pure invention
Ma collection particulière
Depuis la lointaine époque où j'écrivais des petits polars pour France Bleu, je collectionne les coupures de presse dans un carnet - ou bien j'enregistre des pages web dans un fichier - afin de constituer un vivier d'histoires vraies et d'y puiser l'inspiration. Pourquoi tel ou tel fait divers me harponne? Difficile à dire. Souvent, il y est question d'actes criminels, bien sûr. Ceux qui retiennent mon attention mettent en scène des individus qui soudain vont franchir la ligne, soit par pulsion, soit après avoir longuement réfléchi et calculé leur coup. Mes préférés? les losers flamboyants : ils sont persuadés de parvenir à leurs fins sans être inquiétés mais vont commettre d'incroyables maladresses ou jouer de malchance. Ceux-là m'ont inspiré bien des nouvelles et auront réjoui sans le savoir de nombreux auditeurs de France Inter et France Bleu, ondes sur lesquelles mes petits polars étaient régulièrement diffusés.
... Dois-je l'avouer? C'est à l'obscur propriétaire d'une pizzéria dans une petite ville de l'est de la France que je dois mon succès international. Cuisine à l'italienne, une nouvelle dite cursive à chute, est étudiée jusqu'au Canada, et présentée comme l'archétype de la nouvelle policière. Ce que je raconte dans cette nouvelle est vraiment arrivé. J'ai simplement imaginé la scène préambule à l'incendie.
Dans le cas de Cinq cartes brûlées, l'approche du fait réel est différente. Il m'intrigue, me bouleverse et m'interroge tout autant.
Ici, on touche à un drame intime, passionnel, violent.
On explore la rencontre de deux vies en instance d'être brisées, l'une prenant soudain l'ascendance sur l'autre. Le fait divers dont je me suis inspiré s'est déroulé en Lorraine, dans ma ville natale, à Nancy, en décembre 2012. Ce qui m'a saisie dans cette affaire, c'est l'extrême violence de l'agression. Le nombre de coups portés par une seule personne. La temporalité du passage à l'acte (entre le moment où l'agresseur frappe et le moment ou l'arme est écartée). Et l'incroyable justification de l'agression que donnera la personne mise en cause au tribunal.
Ici, on touche à un drame intime, passionnel, violent.
On explore la rencontre de deux vies en instance d'être brisées, l'une prenant soudain l'ascendance sur l'autre. Le fait divers dont je me suis inspiré s'est déroulé en Lorraine, dans ma ville natale, à Nancy, en décembre 2012. Ce qui m'a saisie dans cette affaire, c'est l'extrême violence de l'agression. Le nombre de coups portés par une seule personne. La temporalité du passage à l'acte (entre le moment où l'agresseur frappe et le moment ou l'arme est écartée). Et l'incroyable justification de l'agression que donnera la personne mise en cause au tribunal.
L'ordre et le chaos
Je reste volontairement évasive afin de ne pas trop révéler du livre, bien qu'au-delà du crime, c'est l'histoire nouée entre deux individus qui est de loin le plus intriguant de l'affaire: la singularité de leurs parcours réciproques, comme deux chemins qui mèneraient vers un précipice. L'un est chaotique, tracé en dépit du bon sens, et l'autre taillé avec lenteur, ordre, calcul et détermination.C'est ce point de basculement, lorsque les deux protagonistes de l'affaire se retrouvent, qui rend l'affaire exceptionnelle à mes yeux. Car forcément m'effleure l'idée que tout aurait pu être évité si, à un moment ou à un autre, leur entourage avait été réceptif à leur douleur, leur manque, leur fêlure intérieure.
Oui, ce qui m'a bouleversé dans ce fait divers, ce n'est ni le côté glauque, sanglant ou spectaculaire, mais ces corps imperméables aux autres, ce long silence qui aura pesé sur chacune de ces vies, qu'il s'agisse de l'agresseur ou de la victime.
En exploitant ce fait divers, j'ai souhaité interroger la fragilisation mentale que peut engendrer l'isolement d'un individu, qu'il soit le fait d'un manque de lien parental, scolaire, social, ou d'une absence de communication au sein d'un couple.
Dans le roman, j'utiliserai aussi une autre métaphore pour exprimer cette idée qui me tenaille - que notre destin se fait et se défait à chaque instant de notre existence :
il tient autant au chasseur qu'à sa proie qu'ils se retrouvent soudain face à face.
Oui, ce qui m'a bouleversé dans ce fait divers, ce n'est ni le côté glauque, sanglant ou spectaculaire, mais ces corps imperméables aux autres, ce long silence qui aura pesé sur chacune de ces vies, qu'il s'agisse de l'agresseur ou de la victime.
En exploitant ce fait divers, j'ai souhaité interroger la fragilisation mentale que peut engendrer l'isolement d'un individu, qu'il soit le fait d'un manque de lien parental, scolaire, social, ou d'une absence de communication au sein d'un couple.
Dans le roman, j'utiliserai aussi une autre métaphore pour exprimer cette idée qui me tenaille - que notre destin se fait et se défait à chaque instant de notre existence :
il tient autant au chasseur qu'à sa proie qu'ils se retrouvent soudain face à face.
Un long et lent processus
Lorsque j'ai vent de cette affaire, je sais que je tiens là le sujet d'un roman. Je sais aussi que la victime comme son agresseur, m'apparaissent avec la même intensité et que j'éprouve pour l'un comme pour l'autre la même empathie, une compassion infinie - mon moteur d'écriture.
Je souhaite à ma manière reprendre le récit de ce drame auquel ils se sont malgré eux condamnés, aligner pour eux des mots comme on aligne des pierres, pour qu'ils ne soient pas oubliés.
Mais j'ignore encore par quel bout prendre l'affaire et surtout, la finalité du livre que j'écrirai.
De quoi parlera-t-il?
Sur quelle partie de ce fait divers vais-je porter l'éclairage?
Et quelle sera la propre histoire du livre?
Seule certitude: le récit doit être conté à rebours, en partant de l'enfance, comme pour L'enfant aux cailloux.
Le roman sera chronologique comme l'est notre existence.
Le roman sera chronologique comme l'est notre existence.
Des protagonistes de l'affaire, la presse dit peu de choses. Mais elle donne cependant les éléments essentiels qui serviront de base à leur construction.
Pour l'une, le deuil passé d'un parent, une adolescence en repli sur soi, une tentative de suicide lors d'un voyage aux Etats-Unis, une intelligence au-dessus de la moyenne, des études brillantes, et la tentation d'instrumentaliser sa beauté.
Pour l'autre, médecin anesthésiste, un physique sans attrait particulier, un couple usé par des difficultés de famille, une épouse qui se réfugie dans ses croyances religieuses, peu de vie sociale et de loisirs en dehors du travail, une existence qui tire sur le gris... et la tentation de connaître un nouvel élan dans sa vie affective.
Je vais donc m'appliquer à "nourrir" les deux personnages de mon roman en puisant dans ces éléments réels, à les construire tout en cherchant une manière de les incarner comme s'il s'agissait de tourner un film et de déterminer les rôles principaux.
Puis, je vais croiser le chemin de deux personnes qui vont avoir un rôle déterminant dans l'incarnation des personnages, en des lieux et des circonstances différentes:
elle, c'est à Punta-Cana, dans une piscine, que je fais sa connaissance pendant mes vacances en 2014. Elle s'appelle Laure. Laure est maman de deux filles dont une, la plus jeune, est copine avec mon fils. Les mamans font connaissance et deviennent amies. Ce que Laure me confie alors de sa vie privée - un incroyable et douloureux parcours jalonné de non-dits familiaux - va déclencher l'idée de travailler sur la problématique du corps de mon héroïne, celui-ci épousant les différentes étapes émotionnelles de sa vie.
Lui, c'est dans une cabine de doublage, lors de l'enregistrement audio de mon thriller Black Coffee pour Lizzie en janvier 2018, que je le découvre, avec cet incroyable physique de caméléon.
... Je vous en reparlerai plus tard.
Puis, à la faveur d'un déplacement du côté de l'Aveyron, je tomberai par hasard sur le décor du livre: la ville de Chaudes-Aigues, dans le Cantal. Une ville dont le nom sonne comme une pierre, brûlante d'une eau qui jaillirait trop vite et trop fort des entrailles de la Terre.
Une ville thermale, où se trouve un petit casino.
L'antre de l'enfer du jeu!
Et plus loin, Saint-Flour, où je déniche la "maison d'épouvante" de Laurence... Mais j'y reviendrai également.
Les personnages sont là, en moi, ils existent et sont de chair et de sang. Je commence à "jouer avec", à tourner avec eux quelques scènes sur papier... Bernard m'épate, Laurence me trouble. Dans ma tête, le fait divers a fondu; ne reste que la partie visible de l'iceberg. Le reste est pure invention.
Le décor, l'atmosphère du roman à écrire m'électrisent et me paralysent tout autant.
Ce roman, je le comprends en commençant enfin l'écriture en janvier 2018, est sans doute le plus troublant et le plus incandescent de tous mes livres.